Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/52

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dans quel état vont-ils revenir ? » Et moi je songeais : « Mon hamac ne sera pas fait d’au moins deux jours. »

Cela m’était égal pour mon hamac ; seulement ce Kermadec était si dévoué, il paraissait avoir un si brave cœur, que j’avais fini par m’attacher à cette espèce de forban généralement gris. Je ne riais plus tant de ses méfaits dangereux, et j’aurais préféré les empêcher.

Cette première campagne terminée, et nous séparés, il se trouva que le hasard nous réunit encore sur un autre navire. Oh ! Alors, cela devint presque de l’affection.

Et puis il y eut, à ce second grand voyage, deux circonstances qui nous rapprochèrent beaucoup.

La première fois, c’était à Montevideo, un matin, avant le jour. Yves était à terre depuis la veille, et moi j’arrivais au quai, dans un grand canot armé de seize hommes, avec mission de faire provision d’eau douce.

Je me rappelle cette demi-lueur fraîche du matin, ce ciel déjà lumineux et encore étoilé, ce quai désert que nous longions, en ramant doucement, cherchant l’aiguade, cette grande ville, qui avait