Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/67

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d’une rare beauté, mais qui ne savait faire rien comme les autres.

— Quel dommage, monsieur, qu’un homme comme ça fût si souvent dérangé ! Car il s’est ruiné au cabaret, votre pauvre père ; pourtant il aimait beaucoup sa femme et ses enfants, il était très doux avec eux, et dans le pays tout le monde l’aimait, excepté M. le curé.

— Excepté M. le curé ! me répéta tout bas Yves devenu sombre. Voyez-vous, c’est bien ce que je vous ai conté, au sujet de mon baptême.

— Un jour, il y avait une bataille, ici sur la place, en 1848, pour la révolution, votre père avait tenu tête tout seul aux gens du marché et sauvé la vie à monsieur le maire.

— Il avait un grand cheval, dit l’hôtesse, qui était si méchant, que personne n’osait l’approcher. Et on se garait, allez, quand il passait monté sur cette bête.

— Ah ! dit Yves, frappé tout à coup comme d’une image qui lui serait revenue de très loin, je me souviens de ce cheval, et je me rappelle que mon père me prenait dans ses mains et m’asseyait dessus quand il était amarré à l’écurie. C’est la première