Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/77

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drôle à regarder de ce domaine d’Yves, ayant l’air d’une espèce de long poisson de bois, dont la couleur de sapin neuf tranchait sur les bleus profonds, infinis de la mer.

Et, dans tous ces bleus transparents, au milieu du sillage, derrière, une petite chose grise, ayant la même forme que le navire et le suivant toujours entre deux eaux : le requin. Il y a toujours un requin qui suit, rarement deux ; seulement, quand on l’a pêché, il en vient un autre. Il suit pendant des nuits et des jours, il suit sans se lasser pour manger tout ce qui tombe : débris quelconques, hommes vivants ou hommes morts.

De temps en temps, il y avait de toutes petites hirondelles qui venaient aussi nous faire cortège pour s’amuser, par caprice, picorant les miettes de biscuit que nous semions derrière nous dans ce désert d’eau et puis disparaissant au loin en décrivant des courbes joyeuses. Petites bêtes d’une espèce rare, de couleur rousse à queue blanche, qui vivent on ne sait comment, perdues au milieu des grandes eaux, toujours au plus large des mers.

Yves, qui en voulait une, leur tendait des pièges ; mais elles, très fines, ne venaient pas s’y prendre.