Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/90

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mère. Cette voiture devait nous mener en quatre heures de Guingamp à Paimpol, où nous comptions passer la nuit ; et, de là, il nous faudrait encore marcher longtemps à pied pour arriver au village.

Nous nous en allions, cahotés sur une mauvaise petite route, nous enfonçant de plus en plus dans le silence des campagnes tristes. La nuit d’hiver tombait sur nous lentement et une pluie très fine embrouillait les choses dans les buées grises. Les arbres passaient, passaient, montrant l’un après l’autre leur silhouette morte. De loin en loin, les villages passaient aussi ; — villages bretons, chaumières noires au toit de paille moussue, vieilles églises à mince flèche de granit ; — gîtes isolés, mélancoliques, qui se perdaient vite derrière nous dans la nuit.

— Voyez-vous, disait Yves, j’ai fait cette route aussi la nuit, il y a onze ans ; — moi, j’en avais quatorze, — et je pleurais bien. C’était la fois où j’ai quitté ma mère pour m’en aller tout seul m’engager mousse à Brest…

J’accompagnais Yves un peu par désœuvrement, dans ce voyage à Plouherzel. La permission