Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/40

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fille que la richesse ni les villes n’avaient grisée : il lui revenait à l’esprit comme un rêve lointain de liberté sauvage, comme un ressouvenir d’une époque vague et mystérieuse où les grèves avaient plus d’espace, où certainement les falaises étaient plus gigantesques…

Vers cinq ou six ans, encore de très bonne heure pour elle, l’argent était venu à son père qui s’était mis à acheter et à revendre des cargaisons de navire, elle avait été emmenée par lui à Saint-Brieuc, et plus tard à Paris. — Alors, de petite Gaud, elle était devenue une mademoiselle Marguerite, grande, sérieuse, au regard grave. Toujours un peu livrée à elle-même dans un autre genre d’abandon que celui de la grève bretonne, elle avait conservé sa nature obstinée d’enfant. Ce qu’elle savait des choses de la vie avait été révélé bien au hasard, sans discernement aucun ; mais une dignité innée, excessive, lui avait servi de sauvegarde. De temps en temps elle prenait des allures de hardiesse, disant aux gens, bien en face, des choses trop franches qui surprenaient, et son beau regard clair ne s’abaissait pas toujours devant celui des jeunes hommes ; mais il était si honnête et si indifférent que ceux-ci