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LE ROMAN D’UN ENFANT

bout de son vieux nez d’une complication de lignes inimaginable ; il était pour moi la personnification du dégoûtant, de l’horrible.

Tous les jours, à midi précis, il arrivait ; je me sentais glacer par son coup de sonnette, que j’aurais reconnu entre mille.

Après son départ, j’assainissais moi-même la partie de ma table où ses coudes s’étaient posés, en l’essuyant avec des serviettes que j’allais ensuite clandestinement porter au linge sale. Et cette répulsion s’étendait ensuite aux livres, déjà peu attrayants par eux-mêmes, qu’il avait touchés ; j’en arrachais certains feuillets, suspects de contacts trop prolongés avec ses mains…

Toujours pleins de tache d’encre, mes livres ; toujours salis, traînés, couverts de barbouillages, de dessins quelconques comme on en fait quand l’esprit voyage ailleurs. Moi qui étais un enfant si soigneux et si propret en toutes choses, j’avais un tel dédain pour ces livres obligatoires que je devenais commun avec eux et mal élevé. Même — ce qui est plus étonnant encore — tous mes scrupules m’abandonnaient quand il s’agissait de mes devoirs, toujours faits à la dernière minute, à la diable : mon aversion pour le travail a été la première chose qui m’ait fait transiger avec ma conscience.