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LE ROMAN D’UN ENFANT

sermonner, et intérieurement je désapprouvais sa conduite.

Mais l’approche de son départ doubla mon affection et me causa de vraies tristesses.

Il allait en Polynésie, à Tahiti, juste au bout du monde, de l’autre côté de la terre, et son voyage devait durer quatre ans, ce qui représentait près de la moitié de ma propre vie, autant dire une durée presque sans fin…

Avec un intérêt tout particulier je suivais les préparatifs de cette longue campagne ; ses malles ferrées qu’on arrangeait avec tant de précautions ; ses galons dorés, ses broderies, son épée, qu’on enveloppait d’une quantité de papiers minces, avec des soins d’ensevelissement, et qu’on enfermait ensuite comme des momies dans des boîtes de métal. Tout cela augmentait l’impression que j’avais déjà, des lointains et des périls de ce long voyage.

On sentait du reste qu’une mélancolie pesait sur la maison tout entière, et devenait de plus en plus lourde à mesure qu’approchait le jour de la grande séparation. Nos repas étaient silencieux ; des recommandations seulement s’échangeaient, et j’écoutais avec recueillement sans rien dire.

La veille de son départ, il s’amusa à me confier — ce qui m’honorait beaucoup — différents petits