Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
LE ROMAN D’UN ENFANT

bibelots fragiles de sa cheminée, me priant de les lui garder avec soin jusqu’à son retour.

Puis il me fit cadeau d’un grand livre doré, qui était précisément un Voyage en Polynésie, à nombreuses images ; et c’est le seul livre que j’aie aimé dans ma première enfance. Je le feuilletai tout de suite avec une curiosité empressée. En tête, une grande gravure représentait une femme brune, assez jolie, couronnée de roseaux et nonchalamment assise sous un palmier ; on lisait au-dessous : « Portrait de S. M. Pomaré IV, reine de Tahiti. » Plus loin, c’étaient deux belles créatures au bord de la mer, couronnées de fleurs et la poitrine nue, avec cette légende : « Jeunes filles tahitiennes sur une plage. »

Le jour du départ, à la dernière heure, les préparatifs étant terminés et les grandes malles fermées, nous étions tous dans le salon, réunis en silence comme pour un deuil. On lut un chapitre de la Bible et on fit la prière en famille… Quatre années ! et bientôt l’épaisseur du monde entre nous et celui qui allait partir !

Je me rappelle surtout le visage de ma mère pendant toute cette scène d’adieux ; assise dans un fauteuil, à côté de lui, elle avait gardé d’abord son sourire infiniment triste, son expression de confiance