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LE ROMAN D’UN ENFANT

était bien là, pour flâner dans une sécurité absolue : à travers les treillages et les branches vertes, sans être vu, on voyait de si loin venir les dangers… J’avais toujours soin d’emporter avec moi, dans cette retraite, une provision de cerises, ou de raisins, suivant la saison, et vraiment j’aurais passé là des heures de rêverie tout à fait délicieuse, — sans ces remords obstinés qui me revenaient à chaque instant, ces remords de ne pas faire mes devoirs…

Entre les feuillages retombants, j’apercevais, de tout près, ce frais bassin, entouré de grottes lilliputiennes, pour lequel j’avais un culte depuis le départ de mon frère. Sur sa petite surface réfléchissante, remuée par le jet d’eau, dansaient des rayons de soleil, — qui remontaient ensuite obliquement et venaient mourir à ma voûte de verdure, à l’envers des branches, sous forme de moires lumineuses sans cesse agitées.

Ce berceau était un petit recoin d’ombre tranquille, où je me faisais des illusions de vraie campagne ; par-dessus les vieux murs bas j’écoutais chanter les oiseaux exotiques dans les volières de la maman d’Antoinette, et aussi les oiseaux libres, les hirondelles au rebord des toits, ou les plus simples moineaux, dans les arbres des jardins.