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LE ROMAN D’UN ENFANT

Quelquefois je m’étendais de tout mon long, sur les bancs verts qui étaient là, pour regarder, par les trous du chèvrefeuille, les nuages blancs passer sur le ciel bleu. Je m’initiais aux mœurs intimes des moustiques, qui toute la journée tremblotent sur leurs longues pattes, posés à l’envers des feuilles. Ou bien je concentrais mon attention captivée sur le vieux mur du fond où se passaient, entre insectes, des drames terribles : des araignées sournoises, brusquement sorties de leur trou, attrapaient de pauvres petites bestioles étourdies, — que je délivrais presque toujours, en intervenant avec un brin de paille.

J’avais aussi, j’oubliais de le dire, la compagnie d’un vieux chat, tendrement aimé, que j’appelais la Suprématie, et qui fut le compagnon fidèle de mon enfance.

La Suprématie, sachant les heures où je me tenais là, arrivait discrètement sur la pointe de ses pattes de velours, mais ne sautait sur moi qu’après m’avoir interrogé d’un long regard.

Il était très laid, le pauvre, taché bizarrement sur une seule moitié de la figure ; de plus, un accident cruel lui avait laissé la queue de travers, cassée à angle droit. Aussi devint-il bientôt un sujet de continuelle moquerie pour Lucette, chez qui au con-