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LE ROMAN D’UN ENFANT

Une expédition s’organisa : en tête, un domestique portant une lanterne d’écurie ; derrière lui, Lucette et moi, en sabots, tenant à grand’peine un parapluie que le vent d’orage nous retournait sans cesse.

Dehors, plus aucune frayeur ; mais j’ouvrais bien grands mes yeux et j’écoutais de toutes mes oreilles. Oh ! qu’il me paraissait étonnant et sinistre ce fond de jardin, vu par ces grandes lueurs de feux verts, qui tremblaient, clignotaient, puis de temps en temps nous laissaient aveuglés dans la nuit noire. Et quelle impression me venait des bois de chênes voisins, où se faisait un bruit continuel de fracassement de branches…

Dans les carrés d’asperges, nous retrouvâmes, toute trempée d’eau, tout éclaboussée de terre, cette Histoire de Duruy. Avant l’orage, des escargots, émoustillés sans doute par la pluie prochaine, l’avaient même visitée en tout sens, y dessinant des arabesques avec leur bave luisante…

Eh bien ! ces traînées d’escargots sur ce livre ont persisté longtemps, préservées par mes soins sous des enveloppes de papier. C’est qu’elles avaient le don de me rappeler mille choses, — grâce à ces associations comme il s’en est fait de tout temps dans ma tête, entre les images même les plus dis-