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LE ROMAN D’UN ENFANT

clair, subitement une belle flambée joyeuse illuminant tout, et un grand rond lumineux se dessina au milieu de l’appartement, par terre, sur le tapis, sur les pieds des chaises, dans ces régions basses qui étaient précisément les miennes. Et ces flammes dansaient, changeaient, s’enlaçaient, toujours plus hautes et plus gaies, faisant monter et courir le long des murailles les ombres allongées des choses… Oh ! alors je me levai tout droit, saisi d’admiration… car je me souviens à présent que j’étais assis, aux pieds de ma grand’tante Berthe (déjà très vieille en ce temps-là), qui sommeillait à demi dans sa chaise, près d’une fenêtre par où filtrait la nuit grise ; j’étais assis sur une de ces hautes chaufferettes d’autrefois, à deux étages, si commodes pour les tout petits enfants qui veulent faire les câlins, la tête sur les genoux des grand’mères ou des grand’tantes… Donc, je me levai, en extase, et m’approchai de la flamme ; puis, dans le cercle lumineux qui se dessinait sur le tapis, je me mis à marcher en rond, à tourner, à tourner toujours plus vite, et enfin, sentant tout à coup dans mes jambes une élasticité inconnue, quelque chose comme une détente de ressorts, j’inventai une manière nouvelle et très amusante de faire : c’était de repousser le sol bien fort, puis de le quitter des deux pieds à la fois pen-