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LE ROMAN D’UN ENFANT

mense, aux lucarnes toujours fermées, constamment obscur. Les vieilleries des siècles passés, qui dormaient là, sous de la poussière et des arantèles, m’avaient attiré dès les premiers jours ; puis, peu à peu, j’avais pris l’habitude d’y monter clandestinement, avec mon Télémaque, après le dîner de midi, sûr qu’on ne viendrait pas m’y chercher. À cette heure d’ardent soleil, il semblait, par contraste, qu’il y fît presque nuit. J’ouvrais sans bruit l’auvent d’une des lucarne, d’où jaillissait alors un flot d’éblouissante lumière ; puis, m’avançant sur le toit, je m’accoudais contre les vieilles ardoises chaudes garnies de mousses dorées, et je me mettais à lire. À portée de ma main, séchaient sur ce même toit des milliers de prunes d’Agen, provisions d’hiver étalées sur des claies en roseaux ; surchauffées au soleil, ridées, cuites et recuites, elles étaient exquises ; elles embaumaient tout le grenier de leur odeur ; et des abeilles, des guêpes, qui en mangeaient à discrétion comme moi, tombaient alentour, les pattes en l’air, pâmées d’aise et de chaleur. Et, sur tous les toits centenaires du voisinage, entre tous les vieux pignons gothiques, d’autres claies semblables apparaissaient, jusque dans le lointain, couvertes des mêmes prunes, visitées par les mêmes bourdonnantes abeilles.