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LE ROMAN D’UN ENFANT

On voyait aussi, en enfilade, les deux rues qui aboutissaient à la maison de mon oncle ; bordées de maisons du moyen âge, elles se terminaient chacune par une porte ogivale percée dans le haut mur d’enceinte en pierres rouges. Tout le village était alourdi et chaud, silencieux dans la torpeur du midi d’été ; on n’entendait que le bruit confus des innombrables poules et des innombrables canards, picorant les immondices desséchées des rues. Et au loin, les montagnes, inondées de soleil, s’élevaient dans l’immobile ciel bleu.

Je lisais Télémaque à très petites doses ; trois ou quatre pages suffisaient à ma curiosité, et mettaient du reste ma conscience en repos pour la journée ; puis, vite je descendais retrouver mes petits amis, et nous partions ensemble pour les vignes et pour les bois.

Ce jardin de mon oncle, dont je faisais aussi un lieu de retraite, n’attenait pas à la maison, il était, comme tous les autres jardins, situé en dehors des remparts gothiques du village. Des murs assez hauts l’entouraient, et on y entrait par une antique porte ronde que fermait une énorme clef. À certains jours, j’allais m’isoler là, emportant Télémaque et ma papillonnette.

Il y avait plusieurs pruniers, d’où tombaient, trop mûres, sur la terre brûlante, ces mêmes délicieuses