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LE ROMAN D’UN ENFANT

prunes qu’on mettait sécher sur les toits ; le long des vieilles allées couraient des vignes dont les raisins musqués étaient dévorés par des légions de mouches et d’abeilles. Et tout le fond, — car il était très grand, ce jardin, — était abandonné à des luzernes, comme un simple champ.

Le charme de ce vieux verger était de s’y sentir enclos, enfermé à double tour, absolument seul dans beaucoup d’espace et de silence.

Et enfin il me faut parler de certain berceau qui s’y trouvait et où se passa, deux étés plus tard, le fait capital de ma vie d’enfant. Il était adossé au mur d’enceinte et couvert d’une treille de muscat toujours grillée par le soleil. Il me donnait, sans que je pusse bien définir pourquoi, une impression de « pays chaud ». (Et en effet, dans des jardinets des colonies, j’ai vraiment retrouvé plus tard ces mêmes senteurs lourdes et ces mêmes aspects.) Il était visité de temps en temps par des papillons rares, jamais rencontrés ailleurs, qui, vus de face, étaient tout simplement jaunes et noirs, mais qui, regardés en côté, luisaient de beaux reflets de métal bleu, tout à fait comme ces exotiques de la Guyane, piqués dans les vitrines de l’oncle au musée. Très méfiants, très difficiles à attraper, ils se posaient un instant sur les graines parfumées des muscats, puis