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LE ROMAN D’UN ENFANT

Après quelques journées encore, qui se passèrent en préparatifs pour cette campagne imprévue, il s’en alla, comme emporté par un coup de vent.

Les adieux cependant furent moins tristes cette fois, parce que son absence, pensions-nous, ne durerait que deux années… En réalité, c’était son départ éternel, et on devait jeter son corps quelque part là-bas au fond de l’océan Indien, vers le milieu du golfe de Bengale…

Quand il fut parti, le bruit de la voiture qui l’emportait s’entendant encore, ma mère se tourna vers moi avec une expression de regard qui d’abord m’attendrit jusqu’aux fibres profondes ; et puis elle m’attira à elle, en disant, d’un accent de complète confiance : « Grâce à Dieu, au moins nous te garderons toi ! »

Me garder moi !… On me garderait !… Oh !… je baissai la tête, en détournant mes yeux qui durent changer et devenir un peu sauvages. Je ne trouvais plus un mot ni une caresse pour répondre à ma mère.

Cette confiance si sereine de sa part me faisait mal car, précisément, en entendant ce qu’elle venait de me dire : « Nous te garderons, toi ! » je comprenais pour la première fois de ma vie tout le chemin déjà parcouru dans ma tête par ce projet à peine cons-