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LE ROMAN D’UN ENFANT

cient de m’en aller aussi, de m’en aller même plus loin que mon frère, et plus partout, par le monde entier.

Cette marine m’épouvantait toujours pourtant ; je ne l’aimais pas encore, oh ! non ; rien qu’y penser faisait saigner mon cœur de petit être trop attaché au foyer, trop enlacé de mille liens très doux. Puis d’ailleurs, comment avouer à mes parents une telle idée, comment leur faire cette peine, et entrer ainsi en rébellion contre eux !… Mais renoncer à cela, se confiner tout le temps dans un même lieu, passer sur la terre et n’en rien voir, quel avenir de désenchantement ; à quoi bon vivre, à quoi bon grandir, alors ?…

Et dans ce salon vide, où les fauteuils dérangés, une chaisée tombée, laissaient l’impression triste des départs, tandis que j’étais là, tout près de ma mère, serré contre elle, mais les yeux toujours détournés et l’âme en détresse, je repensai tout à coup au journal de bord de ces marins d’autrefois, lu au soleil couchant, le printemps dernier à la Limoise ; les petites phrases, écrites d’une encre jaunie sur le papier ancien, me revinrent lentement l’une après l’autre, avec un charme berceur et perfide comme doit être celui des incantations de magie :