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LE ROMAN D’UN ENFANT

gnarde allait partir, emportant les lettres au loin. Je descendis de ce mur, je sortis du vieux jardin que je refermai à clef, et me dirigeai lentement vers le bureau de poste.

Un peu comme un petit halluciné, je marchais cette fois-là sans prendre garde à rien ni à personne. Mon esprit voyageait partout, dans les forêts pleines de fougères de l’île délicieuse, dans les sables du sombre Sénégal où avait habité l’oncle au musée, et à travers le Grand Océan austral où des dorades passaient.

La réalité assurée et prochaine de tout cela m’enivrait ; pour la première fois, depuis que j’avais commencé d’exister, le monde et la vie me semblaient grands ouverts devant moi ; ma route s’éclairait d’une lumière toute nouvelle : — une lumière un peu morne, il est vrai, un peu triste, mais puissante et qui pénétrait tout, jusqu’aux horizons extrêmes avoisinant la vieillesse et la mort.

Puis, des petites images très enfantines se mêlaient aussi de temps en temps à mon rêve immense ; je me voyais en uniforme de marin, passant au soleil sur des quais brûlants de villes exotiques ; ou bien revenant à la maison, après de périlleux voyages ; rapportant des caisses qui étaient remplies d’étonnantes choses — et desquelles des cancrelats