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LE ROMAN D’UN ENFANT

chaud, et, comme je devinais, à des rayons qui filtraient par mes fenêtres fermées, la splendeur nouvelle du soleil et de l’air, je me trouvais triste entre les rideaux de mon lit blanc ; je voulais me lever, sortir ; je voulais surtout voir ma mère, ma mère à tout prix…

La porte s’ouvrit, et ma mère entra, souriante. Oh ! je la revois si bien encore, telle qu’elle m’apparut là, dans l’embrasure de cette porte, arrivant accompagnée d’un peu du soleil et du grand air du dehors. Je retrouve tout, l’expression de son regard rencontrant le mien, le son de sa voix, même les détails de sa chère toilette, qui paraîtrait si drôle et si surannée aujourd’hui. Elle revenait de faire quelque course matinale en ville. Elle avait un chapeau de paille avec des roses jaunes et un châle en barége lilas (c’était l’époque du châle) semé de petits bouquets d’un violet plus foncé. Ses papillotes noires — ses pauvres bien-aimées papillotes qui n’ont pas changé de forme, mais qui sont, hélas ! éclaircies et toutes blanches aujourd’hui — n’étaient alors mêlées d’aucun fil d’argent.

Elle sentait une odeur de soleil et d’été qu’elle avait prise dehors. Sa figure de ce matin-là, encadrée dans son chapeau à grand bavolet, est encore absolument présente à mes yeux.