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LE ROMAN D’UN ENFANT

rayons de soleil tombent sur nous ; ils dansent sur nos tabliers blancs, sur nos figures, — à cause des feuilles de l’arbre voisin qu’une brise chaude remue. (Pendant deux étés pour le moins, ce fut notre amusement préféré, de bâtir ainsi des maisons de Robinson dans des coins qui nous paraissaient solitaires, et de nous y asseoir, bien cachés, pour faire nos causeries.) Dans l’histoire de la petite fille piquée par une bête, ce passage à lui seul m’avait subitement jeté dans une rêverie : « … un fruit des colonies très gros ». Et une apparition m’était venue, d’arbres, de fruits étranges, de forêts peuplées d’oiseaux merveilleux.

Oh ! ce qu’il avait de troublant et de magique, dans mon enfance, ce simple mot : « les colonies », qui, en ce temps-là, désignait pour moi l’ensemble des lointains pays chauds, avec leurs palmiers, leurs grandes fleurs, leurs nègres, leurs bêtes, leurs aventures. De la confusion que je faisais de ces choses, se dégageait un sentiment d’ensemble absolument juste, une intuition de leur morne splendeur et de leur amollissante mélancolie.

Je crois que le palmier me fut rappelé pour la première fois par une gravure des Jeunes Naturalistes, de madame Ulliac-Trémadeure, un de mes livres d’étrennes dont je me faisais lire des passages