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LE ROMAN D’UN ENFANT

le soir. (Les palmiers de serre n’étaient pas encore venus dans notre petite ville, en ce temps-là.) Le dessinateur avait représenté deux de ces arbres inconnus au bord d’une plage sur laquelle des nègres passaient. Dernièrement, j’ai eu la curiosité de revoir cette image initiatrice dans le pauvre livre jauni, piqué par l’humidité des hivers, et vraiment je me suis demandé comment elle aurait pu faire naître le moindre rêve en moi, si ma petite âme n’eût été pétrie de ressouvenirs…

Oh ! « les colonies » ! comment dire tout ce qui cherchait à s’éveiller dans ma tête, au seul appel de ce mot ! Un fruit des colonies, un oiseau de là-bas, un coquillage, devenaient pour moi tout de suite des objets presque enchantés.

Il y avait une quantité de choses des colonies chez cette petite Antoinette : un perroquet, des oiseaux de toutes couleurs dans une volière, des collections de coquilles et d’insectes. Dans les tiroirs de sa maman, j’avais vu de bizarres colliers de graines pour parfumer ; dans ses greniers, où quelquefois nous allions fureter ensemble, on trouvait des peaux de bêtes, des sacs singuliers, des caisses sur lesquelles se lisaient encore des adresses de villes des Antilles ; et une vague senteur exotique persistait dans sa maison entière.