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LE ROMAN D’UN ENFANT

Son jardin, comme je l’ai dit, n’était séparé de nous que par des murs très bas, tapissés de rosiers, de jasmins. Et un grenadier de chez elle, grand arbre centenaire, nous envoyait ses branches, semait dans notre cour, à la saison, ses pétales de corail.

Souvent nous causions, à la cantonade, d’une maison à l’autre :

— Est-ce que je peux venir m’amuser, dis ? Ta maman veut-elle ?

— Non, parce que j’ai été méchante, je suis en pénitence. (Ça lui arrivait souvent.) — Alors je me sentais très déçu ; mais moins encore à cause d’elle, je dois l’avouer, qu’à cause du perroquet et des choses exotiques.

Elle-même y était née, aux colonies, cette petite Antoinette, et, — comme c’était curieux ! — elle n’avait pas l’air de comprendre le prix de cela, elle n’en était pas charmée, elle s’en souvenait à peine… Moi qui aurais donné tout au monde pour avoir eu une seule fois, dans les yeux, un reflet, même furtif de ces contrées si éloignées, — si inaccessibles, je le sentais bien…

Avec un regret presque angoissant, avec un regret d’ouistiti en cage, je songeais hélas ! que, dans ma vie de pasteur, si longue que je pusse la supposer, je ne les verrais jamais, jamais…