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LE ROMAN D’UN ENFANT

pas de moi, celui-là ; mais il se mit à tourner autour de ma chambre, en rasant les murs, très vite et sans bruit, son corps tout penché en avant ; ses vilaines jambes, comme des bâtons, faisant raidir sa soutane pendant sa course empressée. Et — comble de terreur — il avait pour tête un crâne blanc d’oiseau à long bec — qui était l’agrandissement monstrueux d’un crâne de mouette blanchi à la mer, ramassé par moi l’été précédent sur une plage de l’île… (Je crois que la visite de ce monsieur coïncida avec le jour où je fus le plus malade, presque un peu en danger.) Après un tour ou deux exécutés dans le même empressement et le même silence, il commença de s’élever de terre… Il courait maintenant sur les cimaises, en jouant toujours de ses jambes maigres, ~- puis plus haut encore, sur les tableaux, sur les glaces, — jusqu’à se perdre dans le plafond déjà envahi par la nuit…

Eh bien, pendant deux ou trois années, l’image de ces visiteurs devait me poursuivre. Les soirs d’hiver, je repensais à eux avec crainte, en montant les escaliers qu’on n’avait pas encore l’habitude d’éclairer à cette époque. S’ils étaient là, pourtant, me disais-je ; derrière des portes sournoisement entre-bâillées, s’ils me guettaient l’un ou l’autre pour me courir après ; si j’allais les voir paraître