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LE ROMAN D’UN ENFANT

quée ; mais il me semble même qu’il me protège ; qu’il assure un peu mon existence et prolonge ma jeunesse. Je ne souffrirais pas qu’on m’y fît le moindre changement, et, si on me le démolissait, je sentirais comme l’effondrement d’un point d’appui que rien ne me revaudrait plus. C’est, sans doute, parce que la persistance de certaines choses, de tout temps connues, arrive à nous leurrer sur notre propre stabilité, sur notre propre durée ; en les voyant demeurer les mêmes, il nous semble que nous ne pouvons pas changer ni cesser d’être. — Je ne trouve pas d’autre explication à cette sorte de sentiment presque fétichiste.

Et quand je songe pourtant, mon Dieu, que ces pierres-là sont quelconques, en somme, et sortent je ne sais d’où ; qu’elles ont été assemblées, comme celles de n’importe quel mur, par les premiers ouvriers venus, un siècle peut-être avant qu’il fût question de ma naissance, — alors je sens combien est enfantine cette illusion que je me fais malgré moi d’une protection venant d’elles ; je comprends sur quelle instable base, composée de rien, je me figure asseoir ma vie…

Les hommes qui n’ont pas eu de maison paternelle, qui, tout petits, ont été promenés de place en place dans des gîtes de louage, ne peuvent