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de-chaussée de la ruelle étroite où la misère les reléguait. Au-dessus d’elles se trouvaient des colonies d’esclaves, habillées et prostituées par des pornobosques. Et puis, on voyait courir dans les rues, chanter, jouer et danser dans les festins nocturnes, les musiciennes, les joueuses de flûte, les jeunes citharistes, crotalistes, acrobates, mimes et danseuses, qui bien souvent n’étaient pas libres non plus, les pauvres petites, et qui versaient à l’aube entre les mains de leurs maîtres tout ce qu’elles avaient gagné du soir au matin, avec leur talent, leur grâce, leur vice ou leur docilité.

Au sommet, paraissaient les courtisanes libres. Celles-là pouvaient prétendre à tout. Il n’y avait pas de trésor ni de palais, ni de gloire, ni de respect qu’elles ne pussent acquérir. Elles possédaient en propre les trois quarts de la ville. Elles dotaient les temples en leur envoyant des monuments d’or. On plaçait leur image sur les autels divins.

Elles ont vraisemblablement réalisé dans leur personne le chef-d’œuvre de la forme et de la vie amoureuse. Peut-être a-t-on exagéré leur culture intellectuelle, mais si elles n’ont dû qu’à leur art et à leur beauté physique la vénération de Praxitèle, cela ne diminue pas pour nous la grâce de leur ombre blanche sur le crépuscule du passé.


III

LUCIEN ET LES
“MIMES DES COURTISANES”


La jeunesse de Lucien s’est passée à modeler ces fragiles statuettes de terre cuite que nous ont conservées les tombes de la Grèce, et qui, destinées en naissant à orner la chambre des femmes, ont charmé des yeux disparus avant de faire