Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 10.djvu/86

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complets avec les principaux fragments insérés à leur place dans les cinq parties du recueil.

Un autre jour — c’était en 1900, je crois, à mon troisième retour d’Italie, — je fumais seul avec Hérédia dans la salle à manger de la rue Balzac : vaste et haute pièce mal éclairée. Il pouvait être onze heures du soir. Nous parlions de la Légende des Siècles comme deux chrétiens antiques eussent parlé de saint Jean. Aucune hyperbole ne nous suffisait. Après quelques minutes, Hérédia se lève et dit : « Restez. Je vais vous en lire. »

Pourquoi ? S’il est un livre que je connaisse par cœur, c’est celui-là. J’attendais sans curiosité ; je ne me doutais pas que j’allais vivre un quart d’heure inoubliable de mon existence.

Hérédia revint, s’assit auprès de moi, tournant le dos à la baie vitrée qui prenait à l’avenue Friedland un peu de fraîcheur nocturne. Et alors, d’une voix toute nouvelle, avec une gravité que ses propres sonnets ne lui inspiraient pas à un tel degré, il lut la prophétie de l’aviateur futur, le symbole de la délivrance : Plein ciel.


Intrépide, il bondit sur les ondes du vent ;
Il se rue, aile ouverte et la proue en avant.
     Il monte ! Il monte ! Il monte encore

Au delà de la zone où tout s’évanouit
Comme s’il s’en allait dans la profonde nuit
     À la poursuite de l’aurore.