Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 11.djvu/26

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ser au grand jour, eux qui recherchent précisément tout ce qui l’augmente par le mystère, eux qui ne comprendront jamais qu’on puisse admirer un sein jeune sans avoir une pensée grivoise, et regarder une femme danser sans demander avec qui elle couche ! Ce sont eux qui, par leurs goûts séniles et leurs vicieuses hypocrisies, auxiliaires imprévus des rigoristes protestants, retardent indéfiniment le jour où nous pourrions voir triompher en scène non plus tel décolletage difforme, ni tel maillot affreusement rose, mais le rôle de Vénus joué sans vêtement, aussi pur qu’une statue antique.


Le nu au théâtre, dévoilé en toute gravité par des créatures d’exception, devrait être un spectacle non seulement admis, mais subventionné par l’État. Je n’en souhaite pas davantage, d’ailleurs. Je ne tiens pas à ce que le boulevard change la redingote pour le pagne[1] ! et, s’il y a des pères qui cachent à leurs filles, comme des sujets frappés de honte, le secret de leur naissance et de leur

  1. En réponse à une phrase de la préface d’Aphrodite, où je déplorais de voir « un peuple vêtu de noir » parcourir les rues sales de nos villes du Nord, un professeur d’une faculté de Droit du Midi, M. Charles G…, fit imprimer dans une feuille protestante, un article où il dénaturait ce passage dans le sens d’un regret de la nudité universelle, et, pour mêler l’esprit le plus fin à l’argumentation la plus solide, il ajoutait : « M. Pierre Louÿs n’admire que les nègres du Soudan, mais, dans un sens, ils sont vêtus de noir aussi ». C’est vraiment, pour un jeune homme, une joie sans mélange que de trouver chez les hommes d’âge des contradicteurs de cette force.