Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 11.djvu/81

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sur la « mièvrerie » de Daphnis et Chloé, — pour prendre cet exemple d’amours orientales. Mais Chloé a treize ans[1] ! et comment une petite bergère éolienne de treize ans s’exprimerait-elle selon la vraisemblance, si elle ne montrait pas ses façons puériles de sentir, de pleurer, de parler ou de se taire ?

Les amantes qui sont nées dans nos pays froids, où tous les printemps sont en retard, même celui de la jeunesse humaine, éprouvent leurs premières passions à l’âge où leur éducation intellectuelle est terminée. Il est tout naturel qu’elles mêlent le monde abstrait au nouveau monde physique dont l’éveil bouleverse leurs âmes déjà grandes. Qu’une Mecklembourgeoise de vingt-quatre ans réponde « Infini » à qui lui dit « Amour », et personne ne s’en étonnera ; elle peut disserter comme il lui plaît sur les affinités mystérieuses, des êtres et même établir une corrélation raisonnable entre le mouvement circulaire des planètes et le manège du lieutenant qui gravite autour de sa blonde personne. Elle a eu le temps d’apprendre sa philosophie. Souvent même elle a fait le tour des vanités psychologiques et, vierge comme la Rosalinde de Shakespeare, elle pourrait dire comme celle-ci, lisant son premier billet doux : « Love is merely a madness. »

  1. Daphnis et Chloé, I, 7.