Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 12.djvu/168

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ni son cynisme qui est absolument exempt de grandeur.

Et ce qui me frappe le plus, quand je le considère, ce sont les tares et les ratés de son imagination.

Depuis que je me connais, j’ai toujours vécu dans la lune. Rien ne me semble plus facile que d’échapper au monde sensible, pour un temps sine horà : depuis l’heure où je le désire jusqu’à l’instant de mon sommeil.

Aussi ne puis-je comprendre un poëte qui maudit « un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve ». Depuis quand la divinité a-t-elle besoin d’avoir une sœur ? Le rêve est l’action suprême.

Qu’est-ce que l’action matérielle pourrait lui apporter qu’il ne possède pas ? Les poëtes, ce sont le Cyclope de Théocrite, le Wolfram de Wagner, le Satyre de Hugo, le Faune de Mallarmé : ceux qui créent un rêve plus réel que la chose, plus vivant que la vie, plus ardent que l’amour, plus divin que les Dieux. — Ce vers de Baudelaire est indigne d’un poëte.

Et pourquoi demanderais-je au Seigneur « la force et le courage de contempler mon cœur et mon corps sans dégoût ». J’ai cela et mieux que cela, puisque j’ai la faculté d’inventer l’objet que je contemple. Si Baudelaire se dégoûte pourquoi regarde-t-il Baudelaire ?

Parce qu’il ne peut guère voir autre chose que