Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 13.djvu/16

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AMBITION


Mon Dieu ! suis-je un poète, et serai-je plus tard
Un de ces écrivains qu’on admire et qu’on aime,
Sur qui le monde entier tient fixé son regard,
Immortel créateur d’un immortel poème ?

Dante ! Arouet ! Gœthe ! Victor Hugo ! Ronsard !
Serai-je comme vous idolâtré moi-même ?
Un peuple ivre de joie, enthousiasmé, hagard,
Va-t-il ceindre mon front d’un flamboyant diadème ?

Non. Cela ne se peut. Pour toute ambition,
Je voudrais seulement qu’un jour mes poésies,
Dans un in-trente-deux, en fine impression,

Ô suprême bonheur ! — soient aimées et chéries
Par quelque jeune fille au sourire charmant,
Qui me lise en cachette et m’embrasse en pleurant.

Qui me lise en cachette et m’embr19 mars 1888.