Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 3.djvu/87

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une petite fille, sur les bords de l’Inakhos, où l’on dit qu’Artémis se baigne, et dans les forêts de l’Artémision, où elle chasse les biches blondes. J’avais des amies, j’avais des esclaves ; quand je passais dans les rues, les femmes tendaient les mains vers moi. Puis, tout à coup, on m’a enfermée, et je n’ai plus revu ni l’eau ni la terre.

» On m’a enfermée dans une tour d’airain, si haute que le bruit même des fêtes de Bakkhos n’arrivait plus jusqu’à moi. Et le plafond de ma chambre était fait de barres d’airain entre lesquelles je voyais le ciel.

» Et c’est là que j’ai grandi, seule avec ma nourrice, entre le ciel et les tapis. Si longtemps j’ai vécu là, que j’avais oublié la terre, et le vent dans les arbres et la couleur de l’eau. Je ne voyais que le ciel ; mais que ne voit-on pas dans le ciel changeant ? Au matin, quand je m’éveillais, il était comme un rideau rouge semé de petites fleurs vertes. Les nuages naissaient, passaient, flottaient, se mêlaient ou se déchiraient. Je leur donnais des noms quelquefois, avant qu’ils n’eussent disparu ; mais c’étaient des amis d’un instant, et, comme une coupe de vin jetée dans la rivière, ils se dissolvaient dans le vent rapide. Le ciel derrière eux devenait plus clair, et même presque blanc autour du soleil, ou plutôt une couleur dont je ne sais pas le nom : de la couleur de la lumière.»

Le bébé se mit à vagir. Elle le berça. Il se tut.