Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/15

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D’où vient cela ? et comment se fait-il qu’à travers le bouleversement des idées antiques, la grande sensualité grecque soit restée comme un rayon sur les fronts les plus élevés ?

C’est que la sensualité est la condition mystérieuse, mais nécessaire et créatrice, du développement intellectuel. Ceux qui n’ont pas senti jusqu’à leur limite, soit pour les aimer, soit pour les maudire, les exigences de la chair, sont par là même incapables de comprendre toute l’étendue des exigences de l’esprit. De même que la beauté de l’âme illumine tout un visage, de même la virilité du corps féconde seule le cerveau. La pire insulte que Delacroix sût adresser à des hommes, celle qu’il jetait indistinctement aux railleurs de Rubens et aux détracteurs d’Ingres, c’était ce mot terrible : eunuques !

Mieux encore : il semble que le génie des peuples, comme celui des individus, soit d’être, avant tout, sensuel. Toutes les villes qui ont régné sur le monde : Babylone, Alexandrie, Athènes, Rome, Venise, Paris, ont été, par une loi générale, d’autant plus licencieuses qu’elles étaient plus puissantes, comme si leur dissolution était nécessaire à leur splendeur. Les cités où le législateur a prétendu implanter une vertu artificielle étroite et improductive, se sont vues, dès le premier jour, condamnées à la mort totale. Il en fut ainsi de Lacédémone, qui, au milieu du plus prodigieux essor qui ait jamais élevé l’âme