Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/124

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qu’elle ne m’en voulait plus de tout le mal qu’elle m’avait fait. Derrière la scène, s’ouvrait une grande salle blanche où attendaient, en somnolant, les mères et les sœurs des danseuses ; Concha me permettait de me tenir là, par une faveur particulière que chacune de ces jeunes filles pouvait accorder à son amant de cœur. Jolie société, vous le voyez.

Les heures que j’ai passées là comptent parmi les plus lamentables. Vous me connaissez : vraiment je n’avais jamais mené cette vie de bas cabaret et de coudes sur la table. Je me faisais horreur.

La señora Perez était là, comme les autres. Elle semblait ne rien connaître de ce qui avait eu lieu calle Trajano. Mentait-elle aussi ? je ne m’en inquiétais même pas. J’écoutais ses confidences, je payais son eau-de-vie… Ne parlons plus de cela, voulez-vous ?


Mes seuls instants de joie m’étaient donnés par les quatre danses de Concha. Alors, je me tenais dans la porte ouverte par où elle entrait en scène et pendant les rares mouvements où elle tournait le dos au public j’avais l’illusion passagère qu’elle dansait de face pour moi seul.

Son triomphe était le flamenco. Quelle danse, Monsieur ! quelle tragédie ! C’est toute la passion en trois actes : désir, séduction, jouissance. Jamais œuvre dramatique n’exprima l’amour féminin avec l’intensité, la grâce et la furie de trois scènes