Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/35

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d’un ambassadeur étranger qui préférait le Manzanarès à toutes les autres rivières, parce qu’il était navigable en voiture et à cheval. Voyez le Guadalquivir ; père des plaines et des cités ! J’ai beaucoup voyagé, depuis vingt ans, j’ai vu le Gange et le Nil et l’Atrato, des fleuves plus larges sous une plus vive lumière : je n’ai vu qu’ici cette majestueuse beauté du courant et des eaux. La couleur en est incomparable. N’est-ce pas de l’or qui s’effile aux arches du pont ? Le flot se gonfle comme une femme enceinte, et l’eau est pleine, pleine de terre. C’est la richesse de l’Andalousie que les deux quais de Séville conduisent vers les plaines. »

Puis ils parlèrent politique. Don Mateo était royaliste et s’indignait des efforts persistants de l’opposition, au moment où toutes les forces du pays eussent dû se concentrer autour de la faible et courageuse reine pour l’aider à sauver le suprême héritage d’une impérissable histoire.

« Quelle chute ! disait-il. Quelle misère ! Avoir possédé l’Europe, avoir été Charles Quint, avoir doublé le champ d’action du monde en découvrant le monde nouveau, avoir eu l’empire sur lequel le soleil ne se couchait point ; mieux encore : avoir, les premiers, vaincu votre Napoléon — et expirer sous les bâtons d’une poignée de bandits mulâtres ! Quel destin pour notre Espagne ! »

Il n’aurait pas fallu lui dire que ces bandits-là fussent les frères de Washington et de Bolivar.