Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/51

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oubliâmes le froid, la neige et la nuit. Les gens des autres compartiments étaient à genoux sur les bancs de bois, et, le menton sur les barrières, ils regardaient la bohémienne. Ceux qui l’entouraient de plus près « toquaient » des paumes en cadence selon le rythme toujours varié du baile flamenco.


C’est alors que je remarquai dans un coin, en face de moi, une petite fille qui chantait.

Celle-ci avait un jupon rose, ce qui me fit deviner aisément qu’elle était de race andalouse, car les Castillanes préfèrent les couleurs sombres, le noir français ou le brun allemand. Ses épaules et sa poitrine naissante disparaissaient sous un châle crème, et, pour se protéger du froid, elle avait autour du visage un foulard blanc qui se terminait par deux longues cornes en arrière.

Tout le wagon savait déjà qu’elle était élève au couvent de San José d’Avila, qu’elle se rendait à Madrid, qu’elle allait retrouver sa mère, qu’elle n’avait pas de novio[1] et qu’on l’appelait Concha Perez.


Sa voix était singulièrement pénétrante. Elle chantait sans bouger, les mains sous le châle,

  1. Novio et le féminin novia, correspondent exactement à ce que les ouvriers français appellent une connaissance. C’est un mot délicat en ceci qu’il ne préjuge rien et qu’il désigne à volonté l’amitié, l’amour ou le plus simple concubinage.