Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison pure jusqu’à la raison pratique n’avait d’égale que la résistance sourde opposée à ses efforts par sa lente cérébralité. Les thèses et les antithèses qui s’affrontaient dans son esprit ne se rencontraient nulle part ailleurs dans le champ de l’intelligence humaine, et elle en tirait des synthèses qui étaient d’abord remarquables par la surprise qu’elles ne lui causaient pas.

Mais rien ne la décourageait. Mlle Gobseck éprouvait à l’égard de la philosophie cette Liebe ohne Wiederliebe, cette passion non partagée, que l’on s’accorde à regarder comme incomparable, en sentiment comme en expression. Elle aimait à régler sa vie en tous temps d’après ses principes, je veux dire d’après les principes des maîtres. Elle se gardait de croire aux critériums trompeurs de ses sens, aux conseils néfastes de ses goûts, aux fallacieux bavardages de ses opinions personnelles, et rien ne lui semblait véritable, légitime ou digne de foi, qui ne reposât d’abord sur un enseignement. Sa paix intérieure était à ce prix.

Les années 1836 et 1837 n’amenèrent aucun événement notable dans son existence. La petite ville, où elle passait des jours sans tristesses ni joies et parfaitement exempts de surprises, donnait un horizon tranquille à ses méditations régulières. En 1838, elle fit un voyage en Prusse, voyage d’études et de perfectionnement, au cours duquel toute aventure lui fut, semble-t-il, épargnée.