Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/193

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D’abord, elle se blottit la tête, comme si elle craignait d’être giflée ; puis, perdant soudain toute contenance, elle ne put retenir ses joues de se contracter, ses larmes de jaillir, et ce fut en sanglotant qu’elle répéta tout bas dans le silence de la chambre :

— Oui, je me tue, Julien ; oui, je me tue… On n’entendra plus parler de moi… Ça sera fini de Berthe une bonne fois et maman sera contente, puisque je suis si vicieuse, qu’elle dit, si portée à mal tourner… Le bon Dieu sait pourtant que c’est pas vrai, que j’ai rien fait de mal avec personne, même avec mon petit ami… Je me tue comme ça, je ne peux plus durer, j’ai trop de malheurs dans la vie… Depuis que je suis au monde, j’ai eu que des coups, tout le temps des coups, et des mots comme à la dernière des dernières… Je travaille mes douze heures par jour, je fais tout ce que je peux d’ouvrage, et le samedi, quand je rapporte mes quatre francs cinquante de ma semaine, maman ne rate pas de me dire que ça ne paie pas ma nourriture et les bottines que j’use en courses… Eh bien ! voilà, quand je serai noyée, je ne coûterai plus rien à personne et ça sera tout débarras. J’irai demain à l’île des Cygnes, on n’a qu’à se laisser glisser, j’aurai plus de courage qu’à me jeter d’un pont. C’est bien décidé, va, Julien, on peut se dire adieu jusqu’à demain la Morgue.

Julien comprit que cette grande douleur devait