Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/151

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la Belle au Bois. Fidèles à l’ordre donné les jardiniers étaient rentrés dans leurs tanières et les valets dans leurs communs. On ne les voyait ni ne les entendait vivre. Au bout d’une allée tournante, Psyché découvrit un petit rond-point couvert de branches et de feuillages, un asile d’ombre verte où le déjeuner de chasse qu’elle avait désiré s’était servi sans que l’on sût comment. Les gens avaient mis le couvert à la dérobée, si bien que Psyché put dire et presque penser :

« Les esprits invisibles qui nous ont endormis nous serviront-ils sans fin ? »

Elle se pencha tout à coup, joyeuse d’avoir trouvé des violettes, les réunit et en couvrit la nappe, où des mains inconnues avaient déjà posé des roses. L’odeur de ces premières roses était la plus pénétrante qu’elle eût jamais rêvée. Le rond-point la ravissait, l’air était doux, l’ombre fraîche, les mets exquis, l’eau délicieuse, les carafes couvertes de buée et les fleurs de rosée et les feuilles de rayons.

Aimery la regardait s’extasier sur tout et jeter aux moindres objets ce premier sourire amoureux qui ne pouvait plus quitter ses lèvres. Elle était en état de plaisir permanent. Ses yeux changeaient à peine d’éclat et d’expression s’ils voyaient Aimery ou les arbres ou le verre d’eau pure ou la grève de l’allée. Elle semblait dire à toutes choses et avec le même élan : « Je vous aime… Je vous aime… Je vous aime… »