Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/19

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quand je pense à cette courte scène, quand je vois au faubourg M. Aimery Jouvelle tentant les jeunes filles dévotes vers les péchés les plus mortels, et à Ménilmontant, le même M. Aimery Jouvelle distribuant des machines à coudre aux ouvrières laborieuses, cela me paraît si imprévu, si extravagant, si drôle…

— Et vous ne connaissez qu’un de mes secrets. Que serait-ce si vous saviez les autres !

— Ne faites pas de diversion. Vous êtes découvert et c’est moi qui vous ai pris.

Pris par vous, Madame, je suis un lièvre trop heureux. Je demande à être dévoré. »

Mme Vannetty retroussa les lèvres et montra ses dents :

« Prenez garde ! »

Il fixa son regard sur elle avec une expression étrange, les paupières souriantes et la bouche fermée, un de ces regards par lesquels les hommes voient beaucoup plus loin que les femmes visées, plongent les yeux à travers tout un avenir très tendre, un avenir peut-être éternel, sur leur sein.

En cet éclair de songerie silencieuse, la pensée acquiert une rapidité extraordinaire, comparable à celle qui l’anime en rêve. Aimery regarda la jeune femme d’abord jusqu’au fond de l’esprit, par le bleu de ses yeux purs, larges et francs. Il la connut telle qu’elle était née. Puis il laissa errer son regard sur les cheveux blonds de ce blond véritable