Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/46

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défendre contre le premier homme qui eut l’occasion de lui plaire. Vers trois heures elle se laissa persuader qu’il y avait, trop de vent sur le pont et que la cabine 44, choisie entre deux cabines vides, se prêtait mieux à l’entretien. Ce fut là qu’en vue des rivages de Crête, Aracœli donna tendrement, sinon le cœur même de sa virginité, au moins ses approches et le spectacle confidentiel de son enchantement sous les caresses.

Quatre jours plus tard elle arrivait rue d’Aguesseau après avoir oublié sa tante à Marseille. L’apparition de cette curiosité anthropologique dans le quartier de la Ville-l’Évêque fit quelque bruit. On prétendit qu’Aimery Jouvelle avait acheté une maîtresse au Jardin d’Acclimatation ; qu’elle avait un anneau dans le nez, un pagne de verroteries, et je ne sais quelles autres sottises. Aracœli n’était pas si foncée que la chronique voulait bien le dire.

Une heure après son arrivée, lorsque au sortir du bain elle se montra nue comme ses dieux l’avaient faite, Aimery lui dit qu’elle ressemblait à un chat de Siam : la robe fauve et quelques détails noirs. Sa couleur était le havane clair, ou plus exactement le ton Broca N° 29, pour parler le langage des ethnologues. Et la douceur de ses formes, le velouté de sa peau, la souplesse de son jeune corps, tout cela était si charmant qu’Aimery devint encore plus amoureux de l’ensemble qu’il ne l’avait été, sur le paquebot, des morceaux choisis.