Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/61

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— Quelle idée, Lotte ! comment peux-tu… ?

— Alors quoi ? des pertes d’argent ? des ennuis de domestiques ? un médecin qui t’a inquiétée ?… Il y a quelque chose, enfin ! Je ne t’ai jamais vue si pâle… Tu souffres, c’est clair comme le jour ! »

Psyché fit un geste évasif. Mme de Jaulgonne poursuivit :

« Tu n’as pas le droit de souffrir seule quand je suis là pour te soutenir et pour t’aider de toutes mes forces. Que se passe-t-il dans ta vie ? Une passion peut-être ? »

C’était une personne essentiellement franche, à qui sa franchise avait valu des inimitiés célèbres et quelques sympathies à l’épreuve de tout. On la savait également incapable d’articuler un compliment qu’elle ne pensât point et d’exprimer une opinion qui ne fût pas nettement la sienne. Psyché aimait sa voix rapide, son geste dégagé, ses yeux qui semblaient toujours dire aux gens : « Si ce n’est pas votre avis, je m’en moque ! » et elle n’avait pas d’amie plus sûre que cette libre femme ronde et vive moins encline aux embrassades que fidèle aux serrements de main.

Les deux amies se regardèrent fixement.

« Charlotte, je ne veux pas être amoureuse.

— Miséricorde ! Voilà ce que je craignais ! Faut-il que tu sois folle de lui pour me dire une phrase pareille !

— Je ne le veux pas. Je ne le serai pas.