Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/235

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sans mauvaises pensées… Ah ! je ne vois que son visage, ses cheveux, son cou. Le reste n’existe que vaguement, je n’y songe pas, je ne veux pas y songer. Et nous sommes étendus l’un près de l’autre, et nous nous parlons ; je fais moi-même, bien entendu, les demandes et les réponses, je joue à l’amour, comme les enfants jouent à la marchande. Et je suis si content… si content… rien que d’y penser. Je la vois dans mes bras, sa joue sur ma joue, ses cheveux dans mes yeux, nos haleines confondues… dans la chaleur moite des draps blancs, et tout un parfum d’amour montant de son corps, enivrant, affolant. Oh ! l’entendre parler, tout contre, toute la nuit… un paradis, enfin !

Et je me réveille, seul, plus seul qu’avant, angoissé, le cœur serré, la langue sèche, et triste… triste… Ah ! romantiques, on se moque de vous, mais c’est pourtant bien vrai que je souffre dans ces moments-là, de désir, d’attente, d’incertitude, d’envie.

Oh ! ma première nuit ! Ma première maîtresse ! Mon premier baiser !

Avec qui ? Avec qui ?

Oh ! pas avec une garce ! Jamais ! Oh ! l’horreur ! Toutes ces choses pieuses, sacrées, avec une prostituée, avec une fille à soldats, payée, vendue ! Et mes premiers étonnements d’enfant, mes premières caresses, mes premiers mots d’amour, pro-