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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/318

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te plains ! Toi qui sais le suprême bonheur, toi qui goûtes l’éternelle jouissance, la béatitude infinie, tu te plains, quand des millions d’hommes mourront sans l’avoir connue. Tu es peu de chose, c’est vrai, et j’ignore encore si je me donnerai à toi, plus tard, à toi m’as entrevue. Mais en supposant que je t’oublie, ne me dois-tu pas néanmoins une perpétuelle reconnaissance pour avoir été, ne fût-ce qu’une heure, privilégié ? Tu as eu la grâce, sache-toi bienheureux.

Anima fidelis. — Ah ! pourquoi m’avoir touché si ce n’est pas pour m’étreindre ? Pourquoi le désir, ô Grâce divine, si la possession m’est interdite ? Tu m’as donné le rêve de la Beauté, pourquoi m’abandonnerais-tu au moment de la dire aux hommes ? Qu’ai-je fait pour une telle désertion de ta part ? Ne t’ai-je pas aimée plus que tout ? Ne t’ai-je pas sacrifié la meilleure, la plus adorable, celle que j’aime toujours plus que tout, mais que je n’aimerai plus si tu viens à moi. Toi qui t’es prostituée à des indifférents, à des profanes, ne te donneras-tu pas à moi qui sers ton culte, à moi qui laisse le monde pour me retirer en toi, et ai prononcé des vœux éternels d’irrévocable consécration ? Ne valait-il pas mieux me laisser dans la foule, si tu devais m’y replonger aussitôt, triste pour jamais du rêve irréalisé ? Je me serais cru heureux, ne sachant pas le bonheur. La lumière divine ne m’aurait pas brûlé les yeux.