Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/319

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La Grâce. — Enfant ! Enfant ! Depuis combien de temps espères-tu ? Compte les années, compte-les, et réponds toi-même. Parmi ceux que tu envies, parmi ceux même que tu n’oses envier, combien, à dix-neuf ans, m’avaient connue plus que toi ? Tu es à l’âge où l’on ne sait rien, où l’on ne peut rien, parce qu’on ne se connaît pas et qu’on ne sait où aller. Tout orgueil, comme tout désespoir, serait puéril à l’âge où tu es. Laisse dire ceux qui se moquent, dédaigne ceux qui te louent : les uns pas plus que les autres ils ne savent. L’avenir est plus proche que tu ne penses et la vie sera tôt passée. Attends de pouvoir regarder en arrière : tu sauras alors ce que je te réserve et si tu as sujet de me maudire ou de me remercier. En attendant, bénis-moi, car je suis venue ; aime-moi toujours avant toutes choses, car la Beauté seule est vraie, et le reste ne vaudrait pas la peine de vivre. Aime-moi, car tu m’as connue, et ceux qui m’ont sentie en eux ont le devoir de se mettre à la tâche, et peut-être un peu le droit d’attendre !

4 h. du matin.

Grande-Chartreuse, 28 août.

Parfois je laisse de côté les préoccupations de forme, d’image, et de beauté, pour regarder curieusement les études de mœurs auxquelles certains