Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/320

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esprits ont cru trouver quelque intérêt. À la condition de ne pas y consacrer sa vie, c’est là en effet un délassement assez agréable et il n’est pas impossible qu’un jour ou l’autre je ne me laisse aller pour un temps à exprimer, par la bouche de personnages indifférents des idées qui ne sont pas les miennes et des émotions illégitimes.

À Saint-Gervais, j’ai lu Notre Cœur, le roman que Maupassant vient d’achever au printemps dernier et dont il se dit très fier. Et en ce moment je lis le Père Goriot. Je ne veux rien dire du style, car Balzac et Maupassant ont chacun l’esprit si différent de l’idéal que je comprends, que je ne saurais faire à leur sujet que d’injustes critiques ou d’inintelligentes exclamations de leurs manières d’observer ; je ne saurais dire non plus laquelle est plus que l’autre exacte et rationnelle, par la raison qu’ils sont les seuls initiateurs aux mondes qu’ils décrivent, et que les moyens de contrôle me font défaut pour les juger. Je veux donc accepter pour vraies les peintures qu’ils me font, et d’après eux, comparer vaguement les deux époques.

Ce qui a peut-être le plus changé, ce sont les rapports d’homme à femme. En 1819, on se prodigue d’inconnu à inconnue les épithètes les plus intimes. Les déclarations d’amour sont considérées comme de simples politesses, et les femmes qui donnent leur main à baiser ne s’étonnent pas qu’on ne la rende point. Aujourd’hui (je n’ose