Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/331

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« la grande lyre », le luth d’Apollon prêté au satyre. — Mais plus qu’à l’appel de tous ces souvenirs, dans les symphonies de mots, les sonorités se répercutent, se pourchassent, s’entre-choquent, et tout à coup grandissent si démesurément que le cerveau ne suffit plus à les contenir, à les embrasser, et que bien au delà des limites sensées… elles ondulent, rayonnantes, dans une hallucination éthérée, jusqu’à l’infini. « Les constellations frissonnent », tel vers contient tout le ciel étoilé. « Ruth songeait, et Booz dormait ; l’herbe était noire » ; tel autre étend toute la nuit sur la plaine « les sables, les graviers, l’herbe et les roseaux verts » ; tel dernier recueille l’eau tout entière en son lit. Et la plus frappante merveille éclate dans les morceaux où la pensée absente ne saurait gêner le libre développement du son, ni réclamer comme venant d’elle un effet qui ne lui appartient à aucun titre. Tel est ce vers qui, par le simple déroulement d’un nom d’homme « Guy, sieur de Pardiac et de l’Isle en Jourdain », peint plus nettement un chevalier que la plus inutile description ne le pourrait. Tel est surtout « l’ombre était nuptiale, auguste, et solennelle ». Celui-là ne peint rien, ne dit rien, il chante, et l’impression se dégage des voyelles accordées dans une impénétrable harmonie. Ô livre unique au monde, mer de mots, vague et mystérieuse symphonie que les initiés ont la joie intense de sentir seuls, à l’exclusion des