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Page:Louÿs - Aphrodite. Mœurs antiques, 1896.djvu/320

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Et comme elle se prenait la tête dans les mains, afin de réprimer sa pensée, elle sentit tout à coup, sans l’avoir prévue, la forme mortuaire de son crâne à travers la peau vivante : les tempes vides, les orbites énormes, le nez camard sous le cartilage et les maxillaires en saillie.

Horreur ! c’était donc cela qu’elle allait devenir ! Avec une lucidité effrayante elle eut la vision de son cadavre et elle fit traîner ses mains sur son corps pour aller jusqu’au fond de cette idée si simple, qui jusqu’ici ne lui était pas venue, — qu’elle portait son squelette en elle, que ce n’était pas un résultat de la mort, une métamorphose, un aboutissement, mais une chose que l’on promène, un spectre inséparable de la forme humaine, — et que la charpente de la vie est déjà le symbole du tombeau.

Un furieux désir de vivre, de tout revoir, de tout recommencer, de tout refaire, la souleva subitement. C’était une révolte en face de la mort ; l’impossibilité d’admettre qu’elle ne verrait pas le soir de ce matin qui naissait ; l’impossibilité de comprendre comment cette beauté, ce corps, cette pensée active, cette vie