Page:Louÿs - La Femme et le Pantin, 1916.djvu/104

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Monsieur, il y a dans la jeunesse des gens heureux un instant précis où la chance tourne, où la pente qui montait redescend, où la mauvaise saison commence. Ce fut là le mien. Cette pièce d’or jetée devant cette enfant, c’était le dé fatal de mon jeu. Je date de là ma vie actuelle, ma ruine morale, ma déchéance et tout ce que vous voyez d’altéré sur mon front. Vous saurez cela : l’histoire est bien simple, vraiment, presque banale, sauf un point ; mais elle m’a tué.

J’étais sorti et je marchais lentement dans la rue sans ombre, quand j’entendis derrière moi un petit pas qui courait. Je me retournai : elle m’avait rejoint.

« Merci. Monsieur », me dit-elle.

Et je vis que sa voix avait changé. Je ne m’étais pas rendu compte de l’effet que ma petite offrande avait dû produire sur elle ; mais cette fois je m’aperçus qu’il était considérable. Un napoléon, c’est vingt-quatre piécettes, le prix d’un bouquet : pour une cigarrera, c’est le