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CHAPITRE IX.

Navigation depuis l’île Sainte-Élisabeth jusqu’à la sortie du détroit de Magellan. — Détails nautiques sur cette navigation.


Nous allions entrer dans la partie boisée du détroit de Magellan, et les premiers pas difficiles étaient franchis. Ce ne fut que le 13 après-midi que, le vent étant venu au nord-ouest, nous appareillâmes malgré sa violence et fîmes route dans le canal qui sépare l’île Sainte-Élisabeth des îles Saint-Barthélemy et aux Lions. Il fallait soutenir de la voile, quoiqu’il nous vînt presque continuellement de cruelles rafales par-dessus les hautes terres de Sainte-Élisabeth, que nous étions contraints de ranger pour éviter les bâtures qui se prolongent autour des deux autres îles. La marée en canal portait au sud et nous parut très forte. Nous vînmes attaquer la terre du continent au-dessous du cap Noir ; c’est où la côte commence à être couverte de bois, et le coup d’œil en est ici assez agréable. Elle court vers le sud et les marées n’y sont plus aussi sensibles.

Nous eûmes du vent très frais et par rafales jusqu’à six heures du soir ; il calma ensuite et devint maniable. Nous prolongeâmes la côte environ à une lieue de distance par un temps clair et serein, nous flattant de doubler pendant la nuit le cap Rond, et d’avoir alors, en cas de mauvais temps, le port Famine sous le vent à nous. Vains projets ; à minuit et demi, les vents sautèrent tout d’un coup au sud-ouest, la côte s’embruma, les grains violents et continuels amenèrent avec eux la pluie et la grêle ; enfin le temps devint aussi mauvais qu’il paraissait beau l’instant d’auparavant. Telle est la nature de ce climat ; les variations dans le temps s’y succèdent avec une telle promptitude, qu’il est impossible de prévoir leurs rapides et dangereuses révolutions. Notre grande voile ayant été déchirée sur ses cargues, nous fûmes obligés de louvoyer sous la misaine, la grande voile d’étai et les huniers tous les ris pris, pour tâcher de doubler la pointe Sainte-Anne, et de nous mettre à l’abri