Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/118

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dans la baie Famine. C’était une lieue à gagner dans le vent, et jamais nous ne pûmes en venir à bout. Comme les bordées étaient courtes, que nous étions obligés de virer vent arrière, et qu’un fort courant nous entraînait dans un grand enfoncement de la terre de Feu, nous perdîmes trois lieues en neuf heures de cette allure funeste, et il fallut se résoudre à aller chercher le long de la côte un mouillage qui fût sous le vent. Nous la rangeâmes la sonde à la main, et vers onze heures du matin nous mouillâmes à un mille de terre par huit brasses et demie de sable vaseux, dans une baie que je nommai la baie Duclos, du nom de M. Duclos Guyot, capitaine de brûlot, mon second dans ce voyage, et dont les lumières et l’expérience m’ont été du plus grand secours.

Cette baie, ouverte à l’est, a très peu d’enfoncement. Sa pointe du nord avance un peu plus au large que celle du sud, et de l’une à l’autre il peut y avoir une lieue de distance. Il y a bon fond dans toute la baie, on trouve six et huit brasses d’eau jusqu’à un câble de terre. C’est un excellent mouillage, puisque les vents d’ouest, qui sont ici les vents régnants et qui soufflent avec impétuosité, viennent par-dessus la côte, laquelle y est fort élevée. Deux petites rivières se déchargent dans la baie ; l’eau est saumâtre à leur embouchure, mais à cinq cents pas au-dessus elle est très bonne. Une espèce de prairie règne le long du débarquement, lequel est de sable ; les bois s’élèvent ensuite en amphithéâtre, mais le pays est presque dénué d’animaux. Nous y avons parcouru une grande étendue de terrain sans voir d’autre gibier que deux au trois bécassines, quelques sarcelles, canards et outardes en fort petite quantité ; nous y avons aussi aperçu quelques perruches ; nous n’aurions pas cru qu’on en pût trouver dans un climat aussi froid.

Nous trouvâmes à l’embouchure de la rivière la plus méridionale sept cabanes faites avec des branches d’arbres entrelacées et de la forme d’un four ; elles paraissaient récemment construites et étaient remplies de coquilles calcinées, de moules et de lépas. Nous remontâmes cette rivière assez loin, et nous vîmes quelques traces d’hommes. Pendant le temps que nous passâmes à terre, la mer y